18 juin 1940

La bataille oubliée

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Le 17 juin 1940, tirant les conclusions de la débâcle, Pétain s'est adressé aux Français " C'est le cœur brisé que je vous dis qu'il faut cesser le combat. " Le 18 juin, tandis que le gouvernement français fait demander aux Allemands les conditions d'un armistice et que de Gaulle lance depuis Londres son appel historique, l'armée française livre sa dernière bataille sur un front de 125 km, des faubourgs de Nancy à Phalsbourg. " C'est la bataille oubliée ", nous dit Roger Bruge, historien de la ligne Maginot, car elle ne figure dans aucun manuel. C'est d'autant plus injuste que trois corps d'armée affrontèrent sur le canal de la Marne au Rhin onze divisions allemandes qui ne s'attendaient pas à une telle résistance de la part des Français. Le dimanche 19 juin 1977, les anciens du 37' régiment d'infanterie de forteresse, un des régiments qui participa à la " bataille oubliée ", apposeront sur la mairie de Lorquin (Moselle) une plaque de marbre à la mémoire de leurs morts du 18 juin 1940. M. Messmer, député-maire de Sarrebourg, présidera à la cérémonie. Ce sera l'hommage de l'ancien de Bir-Hakeim aux combattants trop décriés de 1939-1940.

Roger Bruge tourne à notre intention une page inédite de la " bataille oubliée " pour nous raconter comment l'a vécue le 37 e R.I.F. du lieutenant-colonel Combet.

Quelle est la réaction de l'arrière devant les derniers événements? Là-bas, on réalise mal sans doute (ici aussi d'ailleurs), mais l'on doit s'habituer peu à peu à l'idée de la guerre pure et peut-être longue.

Ces lignes sont extraites d'une lettre envoyée le 12 juin 1940 à sa femme par le capitaine Pierre Lafonta. Alors que Weygand vient de lancer l'idée de l'armistice, alors que la guerre est perdue et la France décomposée, il parle de guerre longue. C'est dire combien les troupes de la ligne Maginot sont restées à l'écart de la bataille.

Professeur de mathématiques, Lafonta a été mobilisé dans un régiment de forteresse, le 37e R.I.F. et, depuis le début du conflit, il commande une compagnie de mitrailleuses, " quelque part sur la ligne Maginot. A la mobilisation, on avait charitablement prévenu le lieutenant-colonel Jules Combet, commandant du régiment :

- Ne comptez pas voyager d'un front à un autre, vous êtes rivé à la ligne Maginot, c'est là que vous vous battrez!

L'hiver a été rigoureux et le 37, R.I.F., comme les autres régiments de forteresse, n'a connu aucune relève, mais les hommes ont bien travaillé. Pendant que des divisions de passage " jouaient " à la guerre en avant de la position fortifiée, ils coulaient des blockhaus pour abriter leurs canons de 25 et leurs mitrailleuses, creusaient des abris, des tranchées, tendaient des kilomètres de barbelés...

Évidemment, c'est une drôle de guerre que celle qui oblige des soldats à manier la pelle et la pioche au lieu du fusil. Elle explique le peu de pertes subies par le 37, R.I.F. entre septembre 1939 et mai 1940. Le premier mort du régiment décéda à la suite d'un accident le 19 septembre 1939. Le second fut électrocuté et c'est seulement en mars 1940 qu'on relève le nom d'un soldat mort au combat : Couchot, un brave du corps franc. En fait, durant neuf mois, le 37e R.I.F. n'a connu que des tirs d'artillerie qui, brutalement, s'abattaient sur la position et beaucoup d'officiers des régiments de forteresse s'interrogent sur l'utilité de cette " garde au béton " qui s'éternise...

On se bat dans le Nord, on se bat à Dunkerque, mais, sur la ligne Maginot, on est resté aux " tirs d'artillerie de part et d'autre du front " ressassés par les communiqués. D'ailleurs avec le beau temps revenu, comment pourrait-on croire à la guerre ?

Certaines de mes mitrailleuses sont noyées dans des massifs de lilas, note Lafonta dans une de ses dernières lettres. Mes tranchées serpentent au milieu des fleurs : des pensées, des reines-marguerites, des pivoines blanches ou rouges, énormes, des iris, des myosotis. Les bois sont verdoyants et couvrent de leurs frondaisons le labyrinthe de nos réseaux.

Lorsqu'il écrit ces lignes, Lafonta ne se doute guère que, dans moins de dix jours, il sera le premier officier du 37e R.I.F. tué à l'ennemi. En effet, sur le front actif la situation se dégrade de plus en plus et il est évident que les événements vont se précipiter.

Le jeudi 13 juin à 9 h 30, le lieutenant colonel Combet est convoqué à Montbronn, à vingt kilomètres de Bitche Moselle, où se trouve le P.C. du général Chastanet, commandant le secteur fortifié de Rohrbach. En même temps que les colonels Subervie, du 166' R.I.F., et Mauvin, du 153, R.I.F. il apprend une incroyable nouvelle : tous les régiments de forteresse quittent la ligne Maginot et partent le soir même vers le sud.

Dépourvu de réserves, le général Weygand a décidé de jeter l'éponge en attendant la signature d'un armistice inévitable. La veille, 12 juin, il a donné l'ordre d'exécuter l'instruction personnelle et secrète NI 144413 Ft, le document le plus important de 1939-1940, celui qui impose à l'armée française de rompre le combat et de se replier sur le centre du pays. Aucune exception n'est prévue : les ouvrages de la ligne Maginot seront sabordés et les régiments de forteresse doivent battre en retraite. Tels sont les ordres qui bouleversent les trois colonels. Le général Chastanet qui partage leurs sentiments précise que les troupes du secteur formeront une division de marche qui gagnera Sarrebourg en trois étapes.

- Et une fois à Sarrebourg, mon général? demande Combet.

- Des trains nous attendent qui nous conduiront aux environs de Gray, dans la Haute-Saône, où une nouvelle ligne de défense est en cours d'organisation.

450 000 hommes vont s'affronter le 18juin

De retour à son P.C., le lieutenant-colonel Combet réunit ses officiers et ses chefs de bataillon.

- On s'attendait à tout, dira le capitaine Monterou, officier adjoint du régiment, mais certainement pas à abandonner un terrain sur lequel nous avions donné depuis neuf mois le meilleur de nous-mêmes.

Avec quels véhicules le 37é R.I.F. va-t-il emporter son matériel et ses stocks de munitions? Les chevaux morts depuis septembre 1939 n'ont pas été remplacés. On ne pourra donc disposer de toutes les voitures hippomobiles. Quant aux véhicules automobiles issus de la réquisition, il n'en reste que trente-trois en état de marche. Il y a bien les chenillettes, mais sur la dotation théorique de vingt-sept, le régiment n'en a reçu que quinze.

On réquisitionne les chevaux et chariots encore disponibles dans les villages proches, mais c'est insuffisant. On obtient d'utiliser les animaux de la 153e compagnie muletière. C'est encore insuffisant! Le train de combat et les véhicules du régiment seront chargés à refus sans que le problème soit résolu.

Dans l'après-midi, on enlève les canons de 25 qu'on avait eu tant de mal à placer sous blockhaus, et l'on saborde les vieux 65 et 47 de marine qui ne peuvent être emportés. Que de choses abandonnées! La seule compagnie du capitaine Joyet laisse " cinq jours de vivres, des dizaines de milliers de cartouches, des centaines de grenades, de l'outillage en quantité.

Au crépuscule, les trois bataillons du 37' R.I.F. s'éloignent de Bitche, l'artillerie allemande ne paraît pas avoir décelé " le grand départ ". Sur la route où convois et colonnes s'agglutinent, les véhicules roulent tous feux éteints.

Dès les premiers kilomètres, les hommes, trop chargés, souffriront de leur manque d'entraînement à la marche. Durant trois nuits, trois nuits interminables, soutenus par l'espoir des fameux trains qui doivent les transporter - ils rêvent de la paille fraîche des wagons - les soldats du 37' R.I.F. iront ainsi, d'étape en étape, plus de trente kilomètres à chaque fois, sur des routes tortueuses qui ne cessent de monter et de descendre à travers la forêt.

Aussi, lorsque le régiment s'arrête, le dimanche 16 juin, dans le bois de l'Oberwald, près de Sarrebourg, l'état d'épuisement des hommes fait peine à voir.

Ils n'ont même pas le courage de se déséquiper. Ils ont des figures de chiens battus!

A 1 0 h 30. les chefs de corps sont convoqués au P.C. de la division, à Imling, au sud de Sarrebourg. Le général Chastanct a sur le visage son expression des mauvais jours.

Il y a du nouveau, dit-il, la division ne peut pas partir, les trains ne circulent plus, les Stukas ont coupé les voies.

Le général se tourne vers une carte et suit du doigt un trait bleu, à quelques kilomètres au sud de Sarrebourg

- La division va s'établir derrière le canal de la Marne au Rhin avec mission d'en interdire le franchissement.

Le 37 R.I.F. occupera le centre du dispositif, de Heming à Xouaxange. Il va participer à la dernière grande bataille livrée par l'armée française en juin 1940, dont personne ne parlera.

Des faubourgs de Nancy à ceux de Phalsbourg. Sur un front d'environ 125 kilomètres. Trois corps d'armée vont aligner leurs régiments derrière le canal de la marne au Rhin pour affronter onze divisions allemandes qui. Après avoir contourné la ligne Maginot rendue perméable par le repli des troupes de forteresse, se ruent au combat avec l'intention de ne faire qu'une bouchée de leurs adversaires.

Bien qu'elle ne figure dans aucun manuel, la " bataille oubliée " ne saurait trop être assimilée à un quelconque engagement local puisque plus de 450 000 combattants s'y affrontèrent le 18 juin 19 0.

A la fin de la matinée du dimanche on reforme les colonnes. Tant pis pour le sommeil en retard! Quand le 37° R.I.F. entre à Sarrebourg, des centaines de civil portant ballots et valises, poussant des bicyclettes ou des voitures à bras, s'engagent sur la que viennent d'emprunter les troupes de forteresse. Que se passe -t-il ?

Nos yeux se portent d'instinct vers les quais, raconte l'adjudant Brives. Pas un wagon, les voies sont mortes. Bientôt, un ordre circule nous devons prendre position sur le canal. Nous allons entrer dans la fournaise et c'est ce qui nous fallait. Enfin, nous allons êtres utiles!

Les rues de Sarrebourg sont encombrées par des milliers de soldats de toutes armes et de réfugiés qui espéraient prendre un train. Les habitants ne savent que penser. A leurs fenêtres ou debout au bord du trottoir, ils regardent passer le 37, R.I.F. Bien que marqué par trois nuits de marche, il se déplace dans un ordre remarquable. Une jeune femme s'adresse au capitaine Sarda : - Alors... l'armée nous abandonne?

- Nous exécutons les ordres! répond Sarda qui a rougi sous le casque.

Précédant son régiment, le lieutenant-colonel Combet s'est rendu sur le canal avec les chefs de bataillon et les commandants de compagnie.

Le bataillon du commandant Sibert tiendra Xouaxange et, à sa gauche, celui de Laender sera à Heming.

Les deux villages sont à cheval sur la voie d'eau, mais la plupart des maisons se trouvent sur la rive Nord, ainsi que la cimenterie d'Heming avec ses hautes cheminées. Au nord, à environ 1 500 mètres une crête couronnée de bois : c'est de là que déferlera l'ennemi. Côté sud, une première ligne de crête puis une dépression où se niche le hameau de Neufmoulins où le commandant Laender installe son P.C. En arrière, une seconde ligne de crête où prend position le bataillon Féraud. Enfin, le village de Lorquin, avec le P.C. du 371 R.I.F. à la mairie. Mais au lieu d'aller à la cave, le colonel a choisi le premier étage.

Si la tête du régiment se terre, dit Combet, on en déduira que les risques à venir sont gros. Alors pas d'hésitation, restons à l'air libre !

Compagnie après compagnie, le régiment rejoint ses emplacements. Durant la nuit, les hommes vont creuser, aménager les épaulements, mettre en place canons de 25 et mitrailleuses. Le lundi 17 juin au lever du jour, un fantastique nuage de fumée grasse noircit le ciel du côté du 166' R.I.F., le régiment voisin. Le stock de carburant de La Forge vient d'être incendié.

C'est avec le 166, R.I.F. que la division allemande du général Boehmbezing, qui vient d'entrer à Sarrebourg, va prendre le contact. Le combat s'engage à Hesse où le colonel Subervie a organisé une tête de pont au nord du canal.

Jusque dans l'après-midi, écrit Subervie, les assauts des Allemands vinrent se briser contre la défense du 166. Ayant réussi à prendre pied dans quelques maisons, ils en furent délogés à la baïonnette.

Le bataillon allemand qui a attaqué laisse 11 tués et 71 blessés dans l'affaire.

Depuis les hauteurs situées au nord d'Heming, l'infanterie de l'Oberst Schwalbe descend en courant vers le canal. Les mitrailleuses du bataillon Laender ouvrent le feu et stoppent net l'attaque. Les Allemands se couchent, se déploient puis, sous un feu précis, refluent derrière la crête.

Plusieurs fois, l'adversaire tentera d'avancer jusqu'au canal, mais la défense du 371 l'en empêche et il se résout à faire appel à l'artillerie. La vallée se couvre d'éclatements et les pentes se renvoient les bruyants échos. Un projectile explose dans l'abri du capitaine Lafonta. L'officier et les trois agents de liaison qui étaient avec lui sont tués sur le coup.

Profitant du bombardement, quelques Stosstrupps s'approchent du canal. Le commandant

Sibert téléphone au P.C. de Lorquin : Il est temps de faire sauter les ponts, sinon nous allons avoir le Boche sur les bras!

Le pont d'Heming saute à 13 heures, puis c'est la passerelle de la cimenterie. A 18 heures seulement, le pont du chemin de fer de Xouaxange s'abat dans l'eau boueuse. Une demi-heure après, c'est le pont-route. Prévoyants, les hommes du lieutenant Coffinier ont construit un radeau avec des tonneaux et assurent le va-et-vient avec la rive nord.

Durant la nuit, quelques coups de fusil, ici et là, traduisent la nervosité des sentinelles. Dans leurs trous, les soldats du 37, ivres de sommeil, dorment à poings fermés. Ils n'en profiteront pas longtemps et, pour eux, le mardi 18 juin commencera très tôt.

Vers 3 h 30, les premiers tirs d'artillerie se déclenchent et gagnent en violence sur le front du régiment. Les hommes sont bien enterrés, mais subissent des pertes. Les premières pertes de la " bataille oubliée ".

L'artillerie française, bien que pauvre en munitions, riposte. La fumée des éclatements se mêle au brouillard qui stagne dans la vallée. Vers 4 h 15, des bruits suspects se font entendre dans les maisons de Xouaxange, au nord du canal. Ce sont les Allemands.

- Ils n'étaient séparés des guetteurs de la section que par la largeur du canal, raconte le capitaine Joyet qui s'est enfermé dans la maison du forgeron Louis Douillot. Tous nos coups de feu, tirés à moins de trente mètres par de-. hommes de sang-froid, portèrent. L'ennemi devint plus circonspect et les tirs de ses mitrailleuses se déplacèrent dans notre direction. Les rafales, d'une durée de une à deux minutes, étaient d'une violence extraordinaire...

Sur la crête nord, on aperçoit les Allemands qui sautent de leurs camions et courent sur la

pente. Certains portent des canots pneumatiques. Partout la fusillade est intense. Vers 6 heures, le brouillard semble s'épaissir et seules les cheminées de la cimenterie émergent du coton. Les Allemands se dérobent à l'abri d'un tir fumigène.

Des petits éléments glissent vers Xouaxange, pour chercher un meilleur point de passage.

A partir de 8 heures, les communications téléphoniques entre les bataillons en ligne et le P.C. de Lorquin sont coupées. Le capitaine Joyet envoie un agent de liaison sur sa droite, où se trouvent les sections Haman et Coffinier. Elles ne tirent plus et, dans l'embrasement général, ce silence est inquiétant.

Vers 9 heures, un soldat pousse un cri: " Mon capitaine, les boches! " Tout le monde regarde. Un groupe allemand avance à pas lents sur la rive sud du canal. A cinquante mètres, un fusil-mitrailleur lâche une longue rafale. Trois corps restent sur le chemin de halage. Ainsi, l'ennemi avait franchi le canal à l'insu des Français.

Comment ont-ils fait?

Des égouts souterrains destinés aux eaux de ruissellement traversent le canal de place en place et leur large section autorise le passage d'un homme. Des puisards les relient à la surface du sol et les ayant découverts, les Allemands s'y sont infiltrés. Un par un, ils débouchent sur la rive Sud.

- Vers 9 h 30, témoigne le capitaine Joyet, arrive un vieil homme avec sa femme et sa fille. Ils viennent grossir le troupeau des civils, femmes et enfants, qui se sont réfugiés dans mon fortin et m'encombrent, ne cessant de refluer d'une pièce à l'autre... Les lamentations des femmes et les cris des enfants à chaque rafale d'artillerie ou d'arme automatique sont insupportables à entendre.

L'avance allemande fait tache d'huile, mais chaque mètre conquis doit l'être dans l'assourdissant fracas des armes. Sur la seule tête de pont de Xouaxange on retrouvera les corps sans vie de vingt-six soldats du régiment de Combet. La maison Douillot est serrée de près et les Allemands lancent des grenades puis tentent d'entrer en force.

Le capitaine Joyet n'a que le temps de crier à son clairon qui servait la mitrailleuse de la porte d'entrée, de retourner sa pièce et de tirer dans le corridor. Sans viser, il lâche une bande, touchant trois Allemands dont un de plusieurs balles dans le ventre.

Ne disposant que d'une douzaine d'hommes et pensant aux malheureux civils pris entre deux feux, Joyet ordonne à ses gradés de faire cesser le feu. Aux Allemands qui hurlent devant la porte. Il demande de lui e envoyer un officier. Il se rend à ce dernier et lui donne sa parole que les civils n'ont pas participé au combat.

Je craignais que les Lorrains, en dépit de leur âge, fussent considérés comme francs tireurs notera Joyet dans son rapport.

Un groupe adverse s'élance déjà vers la maison voisine où les soldats du lieutenant Lesme l'accueillent par une salve. Le groupe recule avec deux morts. Acharné, le combat se poursuit en direction du petit bois où se tient le commandant Sibert. De Lorquin, où le bruit de la fusillade lui parvient, le colonel fait partir le sous-lieutenant- Socié à bord d'une chenillette :

- Allez voir où en est Sibert 1

Socié sera mortellement blessé au cours de sa mission. C'est par le capitaine Frances, bras droit de Sibert, que Combet apprendra que le canal a été franchi, mais que le 37 ne cède pas.

Frances est blessé et commotionné par l'éclatement d'un obus. On se bat pour une maison, pour une rue, pour un verger. Autour du P.C. Sibert, on tire les dernières cartouches. Le lieutenant Marlin tombe, blessé lui aussi. Sibert, à côté de qui se tiennent les lieutenants Haus et de Boissiéu, décide d'arrêter le combat. Les Allemands les désarment, mais renoncent à exploiter leur succès qui leur a coûté trop cher.

Installé dans une tranchée derrière un boqueteau le poste de secours ne sera découvert que le soir :

- La journée se passa dans des conditions terribles dont je garderai le souvenir comme d'un affreux cauchemar, écrira le médecin- lieutenant Cloez

A 20 h 30, atteint d'un éclat d'obus, j'étais capturé avec de nombreux blessés dont le lieutenant Mittelbronn touché à la tête.

Signalant leur avance par des fusées à feux blancs, les Allemands ont le soutien constant d'une artillerie qui ravage les positions du 37, R.I.F. Mais pour chacune de celles-ci, il faut se battre. Au corps à corps. A la baïonnette lorsque le manque de munitions n'a pas obligé les hommes à lever les bras.

Le lieutenant Goldschmidt est grièvement blessé. Il sera opéré en captivité, mais ne survivra pas. Le lieutenant Coffinier est touché au bras, blessure qui nécessitera l'amputation. Atteint aussi, le lieutenant Dacher qui parvient néanmoins à gagner le poste de secours.

Au hameau de Neufmoulins, entre les deux lignes de crête, le commandant Laender a installé son P.C. à l'agence postale de Mme Marie Horny qui vit là avec son fils Robert, et son beau-père. Les Allemands ouvrent le feu à 300 mètres, mais le tir des mitraillettes est plus démoralisant qu'efficace.

Laender se promène debout sous les rafales, exhortant chacun à prendre sa place et à résister. Puis, il dégaine son pistolet et, avec le capitaine Roubier, le lieutenant Bonnevay et une poignée de soldats, il charge. En dix minutes, la contre-attaque fait place nette mais... l'hémorragie s'aggrave pour les officiers du 37e -. Roubier a reçu une balle dans le bras et Bonnevay, mortellement blessé, pousse des cris de souffrance entre les bras des hommes qui le portent.

Pendant ce temps, devant la cimenterie d'Heming, les compagnies Picard et Bauer sont menacées d'encerclement. Les Allemands franchissent le canal en longeant le pont détruit à bord de leurs canots pneumatiques. Sur la rive sud, chaque point d'appui doit être réduit par la force.

Pour obliger les soldats du 37e R.I.F. à sort7ir de la maison où ils se battent sous les ordres du sous-lieutenant Weyant, les Allemands y mettent le feu. Weyant est brûlé au visage. Le sous-lieutenant Gross et le sergent Fischer se font tuer sur leur mitrailleuse. Quelques hommes, à court de munitions, parviennent à se glisser entre les mailles du filet.

Les Allemands aussi sont épuises

A Neufmoulins, la pression ennemie s'accentue. Laender fait détruire le poste radio, le central téléphonique et les documents et notes secrètes sont brûlés dans la cuisinière de Mme Horny. Cette fois, les armes automatiques adverses crépitent à cinquante mètres.

Mais les Allemands sont dans le même état de fatigue et leur élan se brise insensiblement tandis que l'artillerie française les oblige à se terrer sur la première ligne de crête. Le lieutenant-colonel Combet dresse un premier bilan de la journée :

- Après une bataille de plus de neuf heures, notre première ligne n'existe plus. Il reste au 1er bataillon la valeur de trois sections dont une seule intacte, et au deuxième, la valeur d'une compagnie.

A Lorquin, où la population s'est réfugiée dans les caves, une délégation composée du maire, M. Mangin, du curé et du directeur de l'école, vient trouver Combet pour le prier " d'éviter de se battre dans le village en raison de la présence des femmes et des enfants ".

- Je m'engage à faire l'impossible pour que le combat reste maintenu aux issues, réplique le colonel.

Au même instant, il est bouleversé par une autre mauvaise nouvelle : le chef du troisième bataillon, Féraud, vient d'être tué par un obus en même temps que trois brancardiers qui partaient relever des blessés.

L'artillerie allemande tire toujours, mais l'infanterie est trop épuisée pour attaquer le troisième bataillon sur la deuxième crête. La " bataille oubliée " du 18 juin s'achève. A 20 h 00, le général Chastanet fait savoir à Combet " que les trois régiments de la division vont décrocher à la tombée du jour et se réinstaller à une quinzaine de kilomètres au sud ".

Encore une nuit sans sommeil pour les soldats du 37e R.I.F. ! A 23 h 30, le lieutenant-colonel Combet et le capitaine Monterou quittent la mairie de Lorquin. Le 37e R.I.F, ou du moins ce qu'il en reste se battra encore pendant plusieurs jours et sera englobé le 24 juin dans la reddition du 43e corps, après que les Allemands eurent rendu les " honneurs de la guerre " au général Lescanne.

Mais ceci appartient à une autre facette de l'Histoire des armées de l'Est en 1939-1940.