Ne le voyant pas partir pour la guerre comme les autres jeunes
gens de son age, les habitants s'étonnent et commencent à jaser.
C'est à cette période qu'il est soupçonné d'avoir participé,
avec trois Italiens au cambriolage du magasin le Crédit Ouvrier.
Arrêté, il est mis au cachot dans l'attente de son inculpation
et de son jugement. Après quarante jours d'enfermement, le 31 décembre
au soir, il décide de s'évader en compagnie des ses compagnons
de cellules. Après avoir franchi la frontière Luxembourgeoise
il se réfugie chez un de ses oncles. Dix jours plus tard il est
arrêté et traduit devant un tribunal du Grand-Duché. Reconnu
innocent il est acquitté.
Pendant toute la durée de la guerre, il demeure au
Luxembourg, où il fait connaissance avec Marie qui lui donne le
19 avril 1916 un petit Michel.
En 1919, il quitte définitivement le Grand-duché pour
retrouver sa famille.
A son retour il découvre que son père est mort, suicidé.
L'hôtel restaurant que tenaient ses parents a été détruit par
un bombardement. Charles cherche du travail pour aider sa mère
maintenant seule, qui a bien du mal à élever ses jeunes frères
et sœurs. Ses démarches restent vaines. Il reprend également
ses activités de sportif dans l'espoir de devenir coureur
professionnel.
Désœuvré il fait alors la connaissance d'un nommé
Husson, gendarme retraité, comptable à la Direction des
dommages de guerre. Ils se lient d'amitié, ce qui n'est pas pour
déplaire à Husson qui est amoureux de la sœur de Charles.
Espérant toujours obtenir les faveurs de sa sœur il
essaye de convaincre Charles de trouver un arrangement avec celle
ci. Pour convaincre Charles qui n'a toujours pas trouvé de
travail, il lui fait savoir que la fenêtre de son bureau sera
laissée ouverte et qu'à l'intérieur dans un meuble se trouve
une grosse somme d'argent. Charles, un soir s'introduit par la
fenêtre du bureau, et effectivement trouve et dérobe la somme
d'argent qu'il s'empresse de cacher en l'enterrant à proximité
d'un petit boqueteau.
Le lendemain, alors que la ville ne parle que de ce
cambriolage, Charles en compagnie d'un ami se rend à Longuyon
pour y passer la journée.
A l'hôtel de la Gare où ils déjeunent, ils rencontrent le
commissaire qui quelque temps auparavant avait arrêté Charles
pour le cambriolage du Crédit Ouvrier. Celui-ci attend l'arrivée,
par le train en provenance de Nancy, des inspecteurs chargés de
l'enquête. Charles est présenté aux inspecteurs par ce fameux
commissaire, qui même recommande à ceux-ci la collaboration de
Charles pour leur enquête. Un comble !
Charles se confie à l'un de ses frères et lui donne une
partie du butin, ainsi qu'une belle somme d'argent que celui ci
devra remettre à Husson, puis part pour Belfort pour rejoindre
son épouse. De là il se rend à Paris où il est arrêté.
Interrogé au quai des orfèvres sur l'affaire de Longwy, il
garde le silence. Transféré dans cette localité, il apprendra
que Husson avait fait des achats inconsidérés. Rapidement soupçonné,
interrogé, il livre le secret de l'affaire.
Il comparait en cour d'Assises en février 1920. Il est
condamné à 12 ans de travaux forcés, Husson à 10 ans de la même
peine, son frère lui écope de deux ans de réclusion.
Déporté en Guyane, sa bonne conduite dans les différentes
prisons de France lui vaut d'obtenir les postes de garçon
boucher à St Laurent puis pêcheur attitré des surveillants aux
îles du salut.
Mais Charles, comme tous les autres forçats, n'a qu'une idée
en tête, s'évader. Mais pour faire la " belle ", il
faut de l'argent, beaucoup d'argent, et Charles n'en a pas.
A Cayenne où il est employé à l'entretien des lignes télégraphiques,
il fait connaissance avecun autre condamné et tous deux décide
le cambriolage d'une bijouterie à proximité de la place du
marché.
Leur forfait réalisé, les deux complices enterrent leur
magot. Par malchance, le complice de Charles ne sut tenir sa
langue. Dénoncé, il est arrêté puis condamné à cinq ans de
réclusion à l'île St Joseph.
Sa peine terminée, on retrouve Charles au chantier de
Pariacabo, près de Kourou. Là encore, il est employé à
l'entretien des lignes téléphoniques.
Son projet d'évasion ne l'a pas quitté. Avec un ami
Asiatique, il met en projet le vol d'une embarcation de
l'administration pénitentiaire, et le cambriolage de vivres.
Rapidement le projet est mis à exécution, le cambriolage réalisé,
les vivres, en majorité des boites de conserves et lait concentré,
mis en lieu sûr. Ensuite, la nuit, ils procèdent à la
confection des voiles et des cordages pour l'embarcation.
Enfin, le grand jour arrive. Charles est déjà à bord de
l'embarcation, son ami s'apprête à monter, lorsque soudain,
deux ombres surgissent et ouvre le feu sur les fugitifs. Charles
réussit à s'enfuir et regagne sa case. Son ami est pris, et lâchement
dénonce son compagnon. Charles est de nouveau condamné à
seulement 6 mois de réclusion. Peine clémente prononcée par le
Tribunal Maritime Spécial de St Laurent. Sa peine terminée, il
retourne au camp de Pariacabo où il retrouve son ancien boulot
et en plus comme il a du temps libre on lui confie les achats en
ville pour le compte des surveillants et de leurs familles. Il
avait également réussi à organiser des cultures dont il
revendait la production. Cette situation n'étant pas du goût de
tout le monde, il est muté au port de Kourou, chargé du
renflouement et de la remise en état de deux vieux bateaux.
Le 16 juin 1934, il est libéré du bagne. Mais comme tout forçat
libéré, il doit rester en Guyane, toujours sous la surveillance
de l'administration pénitentiaire.
Il se rend à Cayenne et trouve du travail comme jardinier de
L'hôpital des sœurs de St Vincent de Paul. Sa bonne
conduite, son ardeur au travail lui valent l'estime de tous. Mais
son idée de s'évader de la Guyane reste ancrée dans son
esprit, et comme toujours pour réussir une évasion il faut de
l'argent. Avec deux amis de rencontre, il force la porte d'un
magasin, et se trouve nez à nez avec la maréchaussée. L'un de
ses complices avait dévoilé le plan à la gendarmerie. De
nouveau, le tribunal le condamne à 1 an de prison, et sera envoyé
à St Jean au camp des relégués. Sa bonne conduite, lui vaut
l'autorisation d'exploiter " un rade ", un petit débit
de boisson et tabacs.
Un soir, on lui propose un projet d'évasion. Un rêve pour
Charles. D'emblée il accepte. Une nuit, en compagnie de 4 autres
prétendant à la liberté, une petite mais solide embarcation
quitte furtivement les rives du fleuve Maroni. Les fugitifs espèrent
atteindre les côtes du Venezuela. La mer déchaînée en décide
autrement, et après plusieurs jours d'un périple houleux, ils
échouent épuisés, affamés à l'île de Trinidad. Accueillis,
restaurés, ils sont l'objet de toutes les attentions de la
population.
Charles est toujours décidé à regagner la France coûte que
coûte. Il s'embarque clandestinement sur un cargo Allemand. Découvert,
il est débarqué à l'île de la Barbade, il est remis aux
autorités. Présenté au Tribunal, il étaye sa défense, en
arguant qu'il n'était pas passager clandestin puisqu'il s'était
acquitté de la somme demandée aux visiteurs qui montaient à
bord pour effectuer la visite du navire. Reconnu non coupable, le
tribunal ayant fait droit à la requête de Charles condamna la
compagnie Allemande de le rapatrier en Europe.
Heureux Charles, le voici en route vers Amsterdam, enfin c'est
ce qu'il croit. Après une brève escale à Portsmouth, à son
grand désarroi, le navire fait route vers Cherbourg. Bien sûr
à son arrivée il est accueilli par les forces de l'ordre. Le
Capitaine du navire les avait alertés. Incarcéré immédiatement
à la prison de la ville, il va faire pendant deux ans un
incroyable tour de France des prisons. Après Cherbourg, Caen,
Rennes, Le Mans, Nantes, La Rochelle, Angoulême, Limoges, Riom,
et enfin St Martin de Ré, ultime escale pour un retour en Guyane.
Le voici de retour à la case départ. Le Tribunal Maritime Spécial
le condamne à un an de prison, et comme il vient de purger 2 ans
dans les prisons Françaises, laissé en liberté, et retourne à
St Jean au camp des relégués. Quelques mois après, il est libéré
conditionnel, et astreint de rester en Guyane mais avec
interdiction de se rendre à Cayenne. Il trouve un travail dans
une sucrerie proche de Cayenne. Ses bons services, sa bonne
conduite lui valent l'autorisation de se rendre une fois par
semaine à Cayenne.
Nous sommes en 1939, la guerre vient d'éclater, avec huit
autres compagnons, ils décident de rallier la France Libre. Pour
ce faire, récupèrent un bateau qu'ils remettent clandestinement
en état, et le 6 septembre 1941 au soir, lèvent l'ancre, avec
une barrique de plus de 200 litres d'eau, des vivres pour
plusieurs jours, et comme instrument de navigation une boussole.
Le 11 septembre ils accostent sur les rives de la Guyane
Anglaise. Présentés aux autorités ils sont laissés en liberté,
mais on leur fait savoir que compte tenu des circonstances, ils
sont indésirables dans ce pays. Quinze jours plus tard, après
avoir remis en état leur embarcation, et fait le plein de
vivres, ils lèvent l'ancre dans l'espoir de rallier Porto Rico.
Après un périple épique, essuyant de fortes tempêtes,
expulsés de la République Dominicaine, refoulés d'Haïti, à
bout de force, rongés par la faim, ils échouent finalement sur
le rivage de Cuba, le 3 novembre 1941. Ils sont écroués à la
prison centrale de ce pays, libérés le 18 avril 1942, ils sont
peut de temps après réincarcérés au centre de l'immigration,
et ne doivent leur libération définitive qu'une grève de la
faim.
Charles Hut restera à Cuba, jusqu'en 1947, où il gagnera un
peu d'argent en trafiquant dans le commerce d'armes.
Le 4 juillet 1947, il s'embarque encore une fois
clandestinement sur un navire en partance pour Miami. Découvert,
il est remis aux autorités, il est condamné à 6 mois
d'emprisonnement. Libérés en décembre 1947 il est remis aux
autorités Cubaines. De retour à la Havane, il est embauché
comme matelot sur un navire marchand. Au retour de Terre Neuve,
munis de son pécule, il décide au cours d'une escale à New
York, de quitter son emploi. Deux jours plus tard il embarque régulièrement
à bord d'un paquebot à destination de la France.
Débarqué au Havre il entreprend alors de rechercher sa
famille et surtout connaître son fils. Sa mère est morte. Il
retrouve à Charleroi une de ses sœurs, à Arlon et
Luxembourg ses frères, puis à Périgueux une autre sœur.
Pendant dix-huit mois il cherche en vain, dans toute la France
son épouse et son fils. Désespéré, il décide de quitter la
France pour retourner aux Etats Unis, et retrouver le travail
qu'il a quitté sur le navire. Au Havre, il trouve un emploi dans
l'attente de son embarquement. C'est là, qu'un jour, il retrouve sa femme et son fils qui
jusqu'à ces retrouvailles avait été tenu dans l'ignorance de
sa condamnation aux travaux forcés.
Mais qu’est donc devenu Charles Hut ? |