Décret de la Convention
Nationale
des 22 et 23 avril 1793,
l’an second de la République
Françoise
Article
premier
Tous les
ecclésiastiques réguliers et séculiers,
Frères convers & lais
qui n’ont pas prêté le
serment de maintenir la liberté & la légalité,
conformément à la loi du 15 août 1792, seront
transférés à la Guiane
Françoise.
II
Seront sujets à la même
peine ceux qui seront
dénoncés pour cause
d’incivisme, par dix citoyens
dans le canton. La
dénonciation sera jugée par les
directions de
département, sur l’avis des districts.
III
Le serment qui auroit été
prêté postérieurement au
23 mars dernier, est
déclaré non-avenu.
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LETTRES
DE PRÊTRES DÉPORTÉS À CAYENNE
Paul JADIN
“ C'est ôter mille fois la vie que de
multiplier ainsi les angoisses de la mort ”
“ Dans un Exposé des moyens de mettre en valeur la
Guyane française édité à Paris en
1791, un nommé Daniel Lescalier conseille d’y expédier des condamnés afin de
faire renaitre à la vertu des
hommes que des besoins intérieurs ou les mauvais exemples ont corrompus ”.(1)
Cette colonie lointaine et peu peuplée, appelée “ France Équinoxiale ” semble être le lieu
tout désigné pour y envoyer les “ allergiques ” à l’idée
républicaine. Déjà, dès 1792,
l’Assemblée législative a l’intention de se débarrasser des prêtres qui n’ont
pas prêté le serment constitutionnel
au gouvernement et met en œuvre l’idée de Daniel Lescalier et
vote un décret de proscription-déportation qui sera placardé un peu partout,
en l’an II.
Un témoin haut placé André-Daniel Laffon de Ladebat, victime lui aussi du
système écrit “ Sous le Directoire [un peu plus tard en 1797] en effet , on évite désormais la
guillotine sanglante : on lui préfère la mort à distance, sans effusion de
sang, sèche, présentée comme un acte de clémence. Ce sera la mort lente et
douloureuse pour les députés, les émigrés, les savants, les journalistes, les
prêtres déportés massivement dans les fièvres de la Guyane. Plutôt que de
tuer brutalement on y fait mourir à petit feu. C'est ôter mille fois la vie
que de multiplier ainsi les angoisses de la mort ”
La “ guillotine sèche ” tel est, en
effet, le nom que l’on donna alors à
ce système de déportation.
De 1795 à
1814, l’histoire de notre pays se confond avec celle de la France. Brossons à
gros traits les deux premières années de ce régime français. La loi du 9
vendémiaire an 4 (1er octobre 1795)
annexe nos régions à la république française. Quelques jours plus tard, le 27
octobre, un nouveau gouvernement – le Directoire – entre en fonction à Paris.
Aucun régime n’a accompli en si peu de temps autant de réformes. Un tel bouleversement ne pouvait que
susciter méfiance, hostilité ou rejet absolu auprès des notables, du clergé
et des fidèles en général. Aussi, le pouvoir – soit l’occupant, soit les
collaborateurs sur place – s’inquiète-t-il, comme le montre ce rapport
d’avril 1796 du commissaire du Directoire
exécutif dans le département des
Deux-Nèthes (2)
“ Déjà
les prêtres qui, pendant quelque temps, étaient restés calmes, recommencent leurs attaques. Fidèles aux
impulsions qu’ils reçoivent d’Outre-rhin, ils rompent ainsi la trêve, et se
mettent en mouvement.
Leurs
sermons, multipliés pendant ce qu’ils nomment le carême, appellent à la
révolte. Ils osent prêcher que la loi de Moïse ne veut que des rois et des
juges, et ne connaît pas de république…
Il faut
arrêter ces levains de fermentation surtout au milieu d’une population
tellement fanatisée que le langage de la vérité et de la
raison serait pour elle inintelligible … ” 17 avril 1796.
À Paris,
voulant montrer à ses adversaires qu’il n’était pas suspect de complaisance
religieuse, le Directoire consacra la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
comme le prévoyait la Constitution de l’an III. Le culte catholique fut
toléré mais uniquement à l’intérieur des églises. En novembre 1796, les biens
meubles et immeubles des communautés religieuses furent confisqués au profit
de l’État. Les fêtes religieuses et processions furent remplacées par des
cérémonies officielles – qualifiées chez nous de sottekenspelen –
dédiées à la Nature et au Genre humain..
La politique relativement modérée du Directoire favorisa en France, le réveil du royalisme
et du catholicisme. Les élections de germinal an V (avril 1797) virent la
victoire des “ conservateurs ” – le parti de l’ordre – pour la plupart des monarchistes
déguisés. L’assemblée – le Conseil des Cinq-Cents – majorité de
“ droite ” choisit le monarchiste modéré Barthélemy pour
remplacer un directeur sortant et se donna comme président d’assemblée Pichegru qui se posait comme leader de la
droite. La Constitution de l’an III n’avait pas prévu le cas de la
“ cohabitation ” entre un Directoire à majorité de gauche et une
assemblée à majorité de droite. Soutenus par l’armée, les trois directeurs
républicains réussirent un coup de force le 18 fructidor an V (4 septembre
1797). Ce coup d’État allait changer profondément la donne. Dès le lendemain,
la loi du 19 fructidor imposa aux ecclésiastiques le serment “ de haine à la royauté et à l’anarchie et de
fidélité à la république et à la Constitution de l’an III ”.
Beaucoup de prêtres refusèrent de prêter le serment
constitutionnel (3) (les
insermentés). En Brabant wallon, sur 309 prêtres il y eut 5 prêtres jureurs
(ou assermentés) dont celui de Baulers. Les insermentés furent très nombreux
et très actifs dans les provinces ecclésiastiques flamandes. Face aux réfractaires,
la répression fut vigoureuse : le Directoire ne les envoya pas à la
guillotine sanglante, il préféra exiler ces “ coquins sacerdotaux ”
à Cayenne leur faisant subir la mort lente de la guillotine sèche. Le 29
vendémiaire de l’an VI (20 octobre 1797), le cardinal archevêque de Malines
de Franckenberg fut exilé aux frontières de la Prusse. Le recteur de
l’Université de Louvain, Mgr Havelange et les prêtres de la ville eurent
moins de chance : arrêtés, ils furent déportés en même temps que bien
d’autres.
Les archives de la paroisse de Baulers contiennent
un registre [cote AD 11] dans lequel
ont été retranscrites quelques
lettres de prêtres flamands exilés
adressées à leurs proches. Ce cahier
à couverture cartonnée comprend deux parties : en premier lieu, une série de documents étalés de 1786 à
1802 avec en “ prologue ” la copie d’un texte émanant de
l’archevêque de Malines et daté de 1660
sur le culte de la Vierge Marie. Ces texte sont écrits en latin,
néerlandais et français et ont pour thème unique – y compris les lettres des
déportés – les rapports entre l’Église et l’autorité civile. Il
s’étalent du règne de Joseph II à l’ère Bonaparte. Dans une deuxième partie
avec une pagination propre les lettres des exilés avec quelques mentions personnelles
du copiste. Manifestement, celui-ci a
été marqué par le contexte de la révolution : persécutions religieuses,
arrestations, déportations et surtout lutte entre un pouvoir civil étranger
(français et de tradition gallicane !)
et un pouvoir religieux qui
désire garder son indépendance vis-à-vis de l’autorité politique (4).
On sait par ailleurs que Dominique Wauthier, bâtisseur de l’ église actuelle
en 1784, curé de la paroisse sous la période française fut un des cinq prêtres
du Brabant wallon à prêter le serment constitutionnel. Cela ne l’empêcha pas
de rester ou redevenir curé de
Baulers jusqu’à sa mort en 1811. Le “ retour en grâce ” des prêtres
jureurs provoqua des mécontentements dans le rang de certains de ceux qui
avaient vécu difficilement cette période, dans la clandestinité (voir le cas
de Le Mayeur à Houtain).
L’auteur du cahier est probablement
néerlandophone. Parmi les pasteurs ayant exercé à Baulers au 19e siècle, deux sont manifestement
flamands : Jacques Van Winné né en 1816 qui y fut coadjuteur en 1846,
devint plus tard curé à Sluis en Flandre Occidentale et se retira à Leuven où
il mourut en 1900 ; et
Jean-Joseph Vanden Nacht, né à Beersel, vicaire à Wavre en 1821, curé à
Ohain, Braine l’Alleud et à Baulers de 1848 à sa mort en 1876. Je penche pour
ce dernier. La cahier contient en effet deux pages sans aucun rapport
apparent avec le thème et qui touchent les revenus d’un lieu proche de
Beersel : la paroisse de Notre-Dame d’Alsemberg, proche de Beersel.
Lorsqu’il fut vicaire à Wavre ne serait-il pas entré en contact avec une
figure de proue de la “ résistance ” : Corneille Stevens, dont
divers documents figurent dans le cahier ?
Reste le critère de l’écriture et la comparaison avec d’autres registres
et là, il faut bien se rendre à l’évidence les écritures ne concordent pas.
Pour quoi ces lettres ont-elles été retranscrites ?
Avait-on un souci apologétique ?
Voulait-on garder la mémoire de ces
“ martyrs ” de la foi ? On sait que des notes, des
récits, des lettres – le ton modéré montre qu’elles ont passé la censure avec
succès – ont été copiés et
recopiés et ont circulé de main en
main. De quelle manière ont-elles transmises depuis l’Amérique ? Qui
est donc ce copiste et comment ce cahier fait-il partie des archives de
Baulers, c’est ce j’essaierai d’éclaircir pour une prochaine publication de
la revue. Affaire à suivre comme on dit. En attendant voici les traductions
que l’on doit, au soin et à l’attention
de mon ami Walter Van Belleghem de Sint Niklaas. Les mots ou phrases mis entre [ ] sont des explications ou précisions qui ne figurent pas dans le texte
original. On a préféré cette formule moins
“ lourde ” que le renvoi à des notes infrapaginales. Nos correspondants ne sont pas des hommes
d’écrit cela se ressent dans leur style que le traducteur a voulu garder le
plus proche possible de l’original : pauvreté du vocabulaire, nombreuses redites, phrases longues et
alambiquées. Pour la lisibilité du
texte, alinéas et ponctuation ont cependant été multipliés.
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(1)Cité par Michel PIERRE, Les bagnes de Guyane in L’histoire n° 38, 1981, pp. 76 à 83.
(2) Cité par L. VERNIERS, P.BONENFANT, F. QUICKE in Lectures historiques, tome 2, p.314, Bruxelles, 1936.
(3) Voir L’Église du Brabant wallon à l’époque française catalogue de
l’exposition organisée à Genappe – Musée du – Caillou – , en
juin-septembre 1987 ; particulièrement. J. MARTIN, Les serments des curés p.53-55 et J.L. MOREAU, Corneille Stevens et le stévénisme, p. 87-89 – Publication du
Chirel, le n° 1 du tome 3 (1989) de la Revue
d’histoire religieuse du Brabant wallon, l’un consacré entièrement à C.
Stevens et le n°3 du même tome : Deux prêtres face aux serments de l’époque française : Charles
Lemayeur et Maximilien Delfosse, par O. HENRIVAUX et F. VANVREKOM ; et
La rétractation de Nicolas Melar, agent à
Jandrenouille par M.-A. COLLET.
(4) La plupart de ces documents mettent en
relief le caractère illicite, voire
irréligieux des divers serments de fidélité à l’État exigés par les autorités françaises : mandements du cardinal
Franckenberg, du pape (1797, 98 et 99).
On y trouve encore des conseils pour répondre aux arguments des prêtres
“ jureurs ”, des permissions de distribuer les sacrements en des
lieux privés, de donner l’absolution même pour les cas réservés à l’évêque, les
doutes que suscitent de telles
autorisations. Un des documents (f° 20-23) reprend une série de questions et
leurs réponses sur les jureurs, les pénitents qui se sont adressés à un prêtre
jureur, les laïcs qui, le décadi, sont
entrés dans un temple dédié à la Raison – la réponse distingue ici plusieurs
cas : ils y sont entrés par conviction, par curiosité, par nécessité… Le
nouveau serment de fidélité (loi du 19
brumaire an 8) fait l’objet de plusieurs notes datées de janvier 1800 … Les
lettres des déportés me semblent y figurer
comme une illustration concrète
de l’obéissance et de la fidélité à l’Église.
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