Bagne de Guyane: Histoire

Histoire du Bagne de Guyane

 

Avec la collaboration de J.P. Baucheron - Josette GL - Marielle Thouvenin - Paul Jadin - Sylvain Sankalé - Philippe P.L. de Ladebat - Gilbert et Marcel Gonthier – Michel Moracchini – Denis Vuillaume - Paul Jadin

 
Le Bagne
   
 
  Retour aux pages perso
  Retour Accueil
  Histoire
  Chronologie
  Liste des camps
  Les personnages
  Documents et témoignages
  Ce qu'il en reste
  Photos et CP anciennes
  Les déportés sur la Décade
  Les déportés sur la Bayonnaise
  Lettres de prêtres Belges déportés
  Cartes des camps
  Sources
  Bagne de Nelle Calédonie
  Me contacter

« La guillotine sèche »

Lettres de prêtres déportés

à Cayenne sous le Directoire

Revue d’histoire religieuse du Brabant wallon

Tome 15 fascicule 4

4e trimestre 2001

Avec l'aimable autorisation de la Revue d'Histoire Religieuse du Brabant Wallon

Chaussée de Bruxelles 65 a B1300 Wawre. Belgique.

chirel@bw.catho.be.

 

(Extrait d’une lettre de J.B. de Bruyne )

(Lettre  de  J. V. de  Neve curé de Westcapelle)

(1ère lettre de Moons vicaire de Boom)

(2é lettre de Moons)

(Copie d’une lettre de Mr Flotteau Vicaire de Beveren)

Décret de la Convention Nationale

des 22 et 23 avril 1793,

l’an second de la République Françoise

 

Article premier

Tous les ecclésiastiques réguliers et séculiers,

Frères convers & lais qui n’ont pas prêté le

serment  de maintenir la liberté & la légalité,

conformément à la  loi du 15 août 1792, seront

transférés à la Guiane Françoise.

II

Seront sujets à la même peine ceux qui seront

dénoncés pour cause d’incivisme, par dix citoyens

dans le canton. La dénonciation sera jugée par les

directions de département, sur l’avis des districts.

III

Le serment qui auroit été prêté postérieurement au

23 mars dernier, est déclaré non-avenu.

 

LETTRES DE PRÊTRES DÉPORTÉS À CAYENNE

                                                                                                                      Paul JADIN

“ C'est ôter mille fois la vie que de multiplier ainsi les angoisses de la mort 

“ Dans un Exposé des moyens de mettre en valeur la Guyane française  édité à Paris en 1791, un nommé Daniel Lescalier conseille d’y expédier des condamnés afin de  faire renaitre à la vertu des hommes que des besoins intérieurs ou les mauvais exemples ont corrompus ”.(1)  Cette colonie lointaine et peu peuplée, appelée “ France  Équinoxiale ” semble être le lieu tout désigné pour y envoyer les “ allergiques ” à l’idée républicaine.  Déjà, dès 1792, l’Assemblée législative a l’intention de se débarrasser des prêtres qui n’ont pas prêté le serment constitutionnel  au gouvernement et met en œuvre l’idée de Daniel Lescalier et vote un décret de proscription-déportation qui sera placardé un peu partout, en l’an II.

Un témoin haut placé André-Daniel Laffon de Ladebat, victime lui aussi du système écrit “ Sous le Directoire  [un peu plus tard en 1797] en effet , on évite désormais la guillotine sanglante : on lui préfère la mort à distance, sans effusion de sang, sèche, présentée comme un acte de clémence. Ce sera la mort lente et douloureuse pour les députés, les émigrés, les savants, les journalistes, les prêtres déportés massivement dans les fièvres de la Guyane. Plutôt que de tuer brutalement on y fait mourir à petit feu. C'est ôter mille fois la vie que de multiplier ainsi les angoisses de la mort ”

La  “ guillotine sèche ” tel est, en effet,  le nom que l’on donna alors à ce système de déportation.

 De 1795 à 1814, l’histoire de notre pays se confond avec celle de la France. Brossons à gros traits les deux premières années de ce régime français. La loi du 9 vendémiaire an 4 (1er octobre 1795) annexe nos régions à la république française. Quelques jours plus tard, le 27 octobre, un nouveau gouvernement – le Directoire – entre en fonction à Paris. Aucun régime n’a accompli en si peu de temps autant de réformes.  Un tel bouleversement ne pouvait que susciter méfiance, hostilité ou rejet absolu auprès des notables, du clergé et des fidèles en général. Aussi, le pouvoir – soit l’occupant, soit les collaborateurs sur place – s’inquiète-t-il, comme le montre ce rapport d’avril 1796  du commissaire du Directoire exécutif  dans le département des Deux-Nèthes (2)

“ Déjà les prêtres qui, pendant quelque temps, étaient  restés calmes, recommencent leurs attaques. Fidèles aux impulsions qu’ils reçoivent d’Outre-rhin, ils rompent ainsi la trêve, et se mettent en mouvement.

Leurs sermons, multipliés pendant ce qu’ils nomment le carême, appellent à la révolte. Ils osent prêcher que la loi de Moïse ne veut que des rois et des juges, et ne connaît pas de république…

Il faut arrêter ces levains de fermentation surtout au milieu d’une population tellement  fanatisée  que le langage de la vérité et de la raison serait pour elle inintelligible …   17 avril 1796.  

À Paris, voulant montrer à ses adversaires qu’il n’était pas suspect de complaisance religieuse, le Directoire consacra la séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme le prévoyait la Constitution de l’an III. Le culte catholique fut toléré mais uniquement à l’intérieur des églises. En novembre 1796, les biens meubles et immeubles des communautés religieuses furent confisqués au profit de l’État. Les fêtes religieuses et processions furent remplacées par des cérémonies officielles – qualifiées chez nous  de sottekenspelen – dédiées à la Nature et au Genre humain..

La politique relativement modérée du Directoire  favorisa en France, le réveil du royalisme et du catholicisme. Les élections de germinal an V (avril 1797) virent la victoire des “ conservateurs ”  – le parti de l’ordre – pour la plupart des monarchistes déguisés. L’assemblée – le Conseil des Cinq-Cents – majorité de “ droite ”  choisit le monarchiste modéré Barthélemy pour remplacer un directeur sortant et se donna comme président d’assemblée  Pichegru qui se posait comme leader de la droite. La Constitution de l’an III n’avait pas prévu le cas de la “ cohabitation ” entre un Directoire à majorité de gauche et une assemblée à majorité de droite. Soutenus par l’armée, les trois directeurs républicains réussirent un coup de force le 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Ce coup d’État allait changer profondément la donne. Dès le lendemain, la loi du 19 fructidor imposa aux ecclésiastiques le serment “  de  haine à la royauté et à l’anarchie et de fidélité à la république et à la Constitution de l’an III ”.

Beaucoup de prêtres refusèrent de prêter le serment constitutionnel (3) (les insermentés). En Brabant wallon, sur 309 prêtres il y eut 5 prêtres jureurs (ou assermentés) dont celui de Baulers. Les insermentés furent très nombreux et très actifs dans les provinces ecclésiastiques flamandes. Face aux réfractaires, la répression fut vigoureuse : le Directoire ne les envoya pas à la guillotine sanglante, il préféra exiler ces “ coquins sacerdotaux ” à Cayenne leur faisant subir la mort lente de la guillotine sèche. Le 29 vendémiaire de l’an VI (20 octobre 1797), le cardinal archevêque de Malines de Franckenberg fut exilé aux frontières de la Prusse. Le recteur de l’Université de Louvain, Mgr Havelange et les prêtres de la ville eurent moins de chance : arrêtés, ils furent déportés en même temps que bien d’autres.

Les archives de la paroisse de Baulers contiennent un registre [cote AD 11]  dans lequel ont été retranscrites  quelques lettres de prêtres  flamands exilés adressées à leurs  proches. Ce cahier à couverture cartonnée comprend deux parties : en premier lieu,  une série de documents étalés de 1786 à 1802 avec en “ prologue ” la copie d’un texte émanant de l’archevêque de Malines et daté de 1660  sur le culte de la Vierge Marie. Ces texte sont écrits en latin, néerlandais et français et ont pour thème unique – y compris les lettres des déportés – les rapports entre l’Église et l’autorité civile. Il s’étalent du règne de Joseph II à l’ère Bonaparte. Dans une deuxième partie avec une pagination propre les lettres des exilés avec quelques mentions personnelles du copiste.  Manifestement, celui-ci a été marqué par le contexte de la révolution : persécutions religieuses, arrestations, déportations  et surtout  lutte entre un pouvoir civil étranger (français et de tradition gallicane !)  et un  pouvoir religieux qui désire garder son indépendance vis-à-vis de l’autorité politique (4). On sait par ailleurs que Dominique Wauthier, bâtisseur de l’ église actuelle en 1784, curé de la paroisse sous la période française fut un des cinq prêtres du Brabant wallon à prêter le serment constitutionnel. Cela ne l’empêcha pas de rester ou redevenir curé  de Baulers jusqu’à sa mort en 1811. Le “ retour en grâce ” des prêtres jureurs provoqua des mécontentements dans le rang de certains de ceux qui avaient vécu difficilement cette période, dans la clandestinité (voir le cas de Le Mayeur à Houtain).

L’auteur du cahier est probablement néerlandophone. Parmi les pasteurs ayant exercé à Baulers au 19e siècle, deux sont manifestement flamands : Jacques Van Winné né en 1816 qui y fut coadjuteur en 1846, devint plus tard curé à Sluis en Flandre Occidentale et se retira à Leuven où il mourut en 1900 ;  et Jean-Joseph Vanden Nacht, né à Beersel, vicaire à Wavre en 1821, curé à Ohain, Braine l’Alleud et à Baulers de 1848 à sa mort en 1876. Je penche pour ce dernier. La cahier contient en effet deux pages sans aucun rapport apparent avec le thème et qui touchent les revenus d’un lieu proche de Beersel : la paroisse de Notre-Dame d’Alsemberg, proche de Beersel. Lorsqu’il fut vicaire à Wavre ne serait-il pas entré en contact avec une figure de proue de la “ résistance ” : Corneille Stevens, dont divers documents figurent dans le cahier ?  Reste le critère de l’écriture et la comparaison avec d’autres registres et là, il faut bien se rendre à l’évidence les écritures ne concordent pas.

Pour quoi ces lettres ont-elles été retranscrites ? Avait-on  un souci apologétique ? Voulait-on  garder la mémoire de ces “  martyrs ” de la foi ? On sait que des notes, des récits, des lettres – le ton modéré montre qu’elles ont passé la censure avec succès –  ont été copiés et recopiés  et ont circulé de main en main. De quelle manière ont-elles transmises  depuis l’Amérique ? Qui est donc ce copiste et comment ce cahier fait-il partie des archives de Baulers, c’est ce j’essaierai d’éclaircir pour une prochaine publication de la revue. Affaire à suivre comme on dit. En attendant voici les traductions que l’on  doit, au soin et à l’attention de mon ami Walter Van Belleghem de Sint Niklaas.   Les mots ou phrases mis entre [   ] sont des explications ou précisions  qui ne figurent pas dans le texte original.  On a  préféré cette formule moins “ lourde ” que le renvoi à des notes infrapaginales.  Nos correspondants ne sont pas des hommes d’écrit cela se ressent dans leur style que le traducteur a voulu garder le plus proche possible de l’original : pauvreté du vocabulaire,  nombreuses redites, phrases longues et alambiquées. Pour la  lisibilité  du  texte, alinéas et ponctuation ont cependant été multipliés.

 

(1)Cité par Michel PIERRE,  Les bagnes de Guyane in L’histoire n° 38, 1981, pp. 76 à 83.

(2) Cité par L. VERNIERS, P.BONENFANT, F. QUICKE in Lectures historiques, tome 2, p.314, Bruxelles, 1936.

(3) Voir L’Église du Brabant  wallon à l’époque française catalogue de l’exposition organisée à Genappe – Musée du – Caillou – , en juin-septembre 1987 ; particulièrement. J. MARTIN, Les serments des curés p.53-55 et J.L. MOREAU, Corneille Stevens et le stévénisme, p. 87-89 – Publication du Chirel, le n° 1 du tome 3 (1989) de la Revue d’histoire religieuse du Brabant wallon, l’un consacré entièrement à C. Stevens et  le n°3  du même tome : Deux prêtres face aux serments de l’époque française : Charles Lemayeur et Maximilien Delfosse, par O. HENRIVAUX et F. VANVREKOM ; et La rétractation de Nicolas Melar, agent à Jandrenouille  par M.-A. COLLET.

(4) La plupart de ces documents mettent  en relief  le caractère illicite, voire irréligieux des divers serments de fidélité à l’État  exigés par les autorités françaises : mandements du cardinal Franckenberg, du pape (1797, 98 et  99). On y trouve encore des conseils pour répondre aux arguments des prêtres “ jureurs ”, des permissions de distribuer les sacrements en des lieux privés, de donner l’absolution même pour les cas réservés à l’évêque, les doutes que suscitent  de telles autorisations. Un des documents (f° 20-23) reprend une série de questions et leurs réponses sur les jureurs, les pénitents qui se sont adressés à un prêtre jureur, les laïcs qui, le décadi,  sont entrés dans un temple dédié à la Raison – la réponse distingue ici plusieurs cas : ils y sont entrés par conviction, par curiosité, par nécessité… Le nouveau  serment de fidélité (loi du 19 brumaire an 8) fait l’objet de plusieurs notes datées de janvier 1800 … Les lettres des déportés me semblent y figurer  comme une illustration concrète  de l’obéissance et de la fidélité à l’Église.

 

 

© 2001-2005 Guy Marchal